L'Origine du terrain de vol à
voile d'AUBENASSON (Drôme)
Comment ce refuge de planeurs est-il venu se
glisser au fond de cette vallée de la rivière
la Drôme aussi étroite ?
Alors voilà :
Aéro-club de Valence, fin du printemps
1955, section vol à voile, un moniteur
avions/planeurs, Monsieur Jean NAVAS, lyonnais d'origine,
est issu de l'école de vol à voile de
Corbas.
A cette époque, Jean NAVAS a «deux
casquettes »: Moniteur à l'aéro-club de
Valence et maréchal des logis, appelé au
G.A.O.A (futur ALAT) de Valence, et pilote instructeur
à l'unité présente sur le terrain de
Valence-La Trésorerie.
Avant son départ pour l'armée, NAVAS
était déjà moniteur à Valence,
et cette affectation de complaisance était le fruit
d'une négociation entre le Président du Club,
le Docteur LAFAYE-DEMICHAUX et le Commandant du
détachement du G.A.O.A. Cette situation permet au
jeune moniteur de passer du militaire au civil et vice-versa
en quelques coups de pédales. Les avions verts sont
des voisins mitoyens. Malgré son uniforme, NAVAS
passe le plus clair de son temps à
l'aéro-club.
Sous l'uniforme, il effectue de nombreux vols
de liaison aller/retour entre le terrain de Valence et celui
de Gap. Le cheminement du vol l'amène à passer
à la verticale de Saillans en ayant sous son aile
droite la montagne des Trois Becs dont celle de Rochecourbe.
A plusieurs reprises, il remarque qu'aux abords de tous ces
reliefs le vario est positif. Sur la pointe des pieds, il
effectue à chaque liaison de petites prospection ; il
en déduit que c'est « un coin à pompes
».Et, il est intéressé à tel
point, que depuis le Piper de l'Armée, il a
déjà repéré un terrain possible
en bordure de la Drôme.
Mais, revenons à la section de vol à
voile. Ces années là, en 1952/1955, je
travaille à la Manufacture Générale de
Munitions (M.G.M) de Bourg les Valence, où je suis
ajusteur/tourneur. Je passe tous mes samedis et dimanches au
club car mes grands-parents habitent Malissard. De par ma
professionNAVAS me propose de faire un petit entretien
avion/planeur en échange d'un vol remorqué
gratuit, de temps en temps. Au retour d'un vol militaire,
NAVAS me demande d'installer sur le Jodel D 112,
immatriculé F-BHAA, un vario, et me dévoile
son « plan ». Cette bricole terminée et le
plein fait, nous décollons direction le « coin
à pompes ». Arrivé à la verticale
de Saillans, il reprend les commandes et nous entamons une
prospection en règle de toutes les pentes
susceptibles de « donner quelque chose ».
Effectivement, le secteur offre d'excellentes conditions
pour faire du vol de pente. La preuve en est faite encore
aujourd'hui avec la fréquentation «
européenne » du terrain d'Aubenasson.
Après toutes ces observations, descente
rapide sur Saillans, vers le champ que NAVAS avait
précédemment repéré.
C'était une bande de terre cultivée,
apparemment en jachère, coincée entre
laDrôme et la voie ferrée Valence-Gap,
orientée ouest-est, mais qui paraît
relativement longue. Deux passages « tout réduit
» sont nécessaires pour tout repérer.
Remise de gaz et NAVAS prend la décision de se poser.
Ce sera un atterrissage de précaution, car il va
falloir passer la ligne de peupliers, encore une fois «
tout réduit », longue finale, autant que
celle-ci puisse se faire; les peupliers droit devant, puis
quelques mètres sous les ailes, et ça passe.
NAVAS « assoit » le Jodel dans un trois point, les
roues touchent le sol, freinage vigoureux mais dosé.
Et ça roule, ça court, les peupliers de
l'extrémité ouest se rapprochent, la vitesse
diminue, et le Jodel finit par s'immobiliser. Fabuleuse
démonstration d'un « MONITEUR » dans le cas
d' atterrissage en campagne !
Arrêt moteur, descente de l'avion et notre
première constatation est de remarquer que les fameux
peupliers sont encore à une centaine de mètres
et que le sol est constitué de chaume de blé
et sans « taupinières vicieuses en embuscade
». Conclusion du moniteur : c'est favorable.
Nous sommes en train de faire un tour d'horizon des
lieux lorsque nous sommes interrompus par l'arrivée
d'un visiteur. Nos manoeuvres ne sot pas passées
inaperçues. Allure décidée, style
gentleman-farmer, petit chapeau de feutre, veste de chasse,
pantalon de velours marron pris dans des guêtres de
cuir, s'appuyant élégamment sur une canne
à pommeau et complétant le tout, un immense
sourire. Le dialogue est direct : « Bienvenue,
Messieurs, je suis vraiment heureux d'avoir un avion sur mon
champ. C'est une bonne surprise ». Et il se
présente: Comte de CHIVRE, ancien pilote de chasse.
Et à notre tour de décliner nos
identités. Puis, il s'inquiète des raisons de
cet atterrissage. Nous lui expliquons les raisons de note
arrivée surprise sur ses terres et NAVAS
déroule son plan qui est de mettre à profit
l'aérologie du relief environnant, et si cela est
possible, d'utiliser son champ comme base. C'est une demande
franche et discrète. Il lui expose tous les
détails de cette entreprise au demeurant audacieuse.
Nous ne recevons pas de refus, car il semblerait que
Monsieur de CHIVRE, après nous avoir
écoutés attentivement, soit ravi par ce
projet. NAVAS a alors une réaction qui fera la
différence :
« Monsieur le Comte,
venez, je vous emmène faire un tout d'avion au-dessus
de vos terres ».
C'est un coup dans le mille. Au retour de ce vol, il
nous fait faire le tour de son champ et nous propose de
faire abattre les peupliers gênants aux deux
extrémités de la piste.
Retour à Valence avec des idées plein
la tête : heureusement que le D 112 ne supporte pas la
voltige, sinon verticale Valence-La Trésorerie, il y
aurait eu un double tonneau de victoire. Comme dans la
chasse !...
Quelques jours plus tard, rentrant de Gap, par la
verticale d'Aubenasson, le maréchal des logis NAVAS
constate que tous les arbres ont été
arrachés et qu'un parking rudimentaire a même
été aménagé.
Il fallait maintenant, ne pas décevoir
Monsieur de CHIVRE : c'est donc très rapidement que
NAVAS vient tester le terrain avec le remorqueur Tigre DH
82, immatriculé F-BGFL. Puis, le lendemain matin,
dimanche, une remorque avec le plus lourd des planeurs, le
biplace. Tout se passe parfaitement maintenant que les
peupliers ne sont plus là.
Nous sommes fin juin et tout est prêt pour
début juillet. Le moment venu, les trois planeurs du
club : 1 biplace Castel C 258, 1 Nord 1300 et 1 Castel C 310
sont en place. Monsieur le Comte est aux anges, des avions
et des planeurs sont chez lui, sur ses terres.
Voici donc comment le petit village d'Aubenasson a
fait son entrée dans le monde vélivole.
Passons maintenant dans les coulisses de
l'affaire.
Comme relaté plus haut, je suis
salarié de la M.G.M de Bourg les Valence, et j'ai
donc droit à des congés payés.
Congés que je prendrai du15 juillet au 15 août?
Je ne retournerai pas à la M.G.M à la fin de
mes congés, car j'ai signé un engagement de
trois ans avec l'Armée de l'Air; Cette période
de vacances sera entièrement consacrée au vol
à voile pour mettre sur pieds l'idée de Jean
NAVAS : organiser un stage d'été de planeurs à
Aubenasson, et tenir la promesse faite à Monsieur de
CHIVRE.
Les vols remorqués sont pratiquement au point, mais
tous les vélivoles du club ne sont pas «
lâchés ». Nombreux sont ceux qui, à
Valence, font leur décollage au treuil. Il va falloir
mettre en place le treuil à Aubenasson. Et, c'est
maintenant que les plus gros risques vont être pris.
Comme tous les clubs de vol à voile, nous avons donc
ce fameux treuil Ford à deux tambours qui repose sur
le sol par son châssis en position de tractage. Il est
muni de deux roues pour ses déplacements, une antique
Citroën B 2 qui a la lourde charge de tirer les cables,
un engin de marque indéterminé (une vieille
voiture Ford des années 30, parait-il !) qui est
utilisé pour tracter la remorque planeur en cas
d'atterrissage « aux vaches ».
Voilà pour notre matériel roulant, et
premier souci : ces deux « fossiles » ne sont pas
immatriculés. Et, tout ce beau matériel devra
rejoindre Aubenasson par la route. A coeur vaillant, rien
d'impossible !... Jean NAVAS n'est jamais pris de court : on
ira de nuit à Aubenasson, à cause de la
maréchaussée !
Et, par une nuit d'été, sans lune, un
étrange convoi quitte le terrain de Valence-La
Trésorerie pour Aubenasson, soit 22
kilomètres...par un itinéraire à faire
disjoncter un GPS !...
Il faut quand même, jeter un un oeil (de
chouette) sur la composition du convoi. Devant, deux gars en
mobylette, tous phares allumés et en patrouille
serrée. Immédiatement derrière, la
Citroën B 2 chargée de tout le matériel
nécessaires : outils, câbles de rechange,
jerricans d'essence pleins, avec un chauffeur et un porteur
munis de torche. Enfin, fermant la marche, le treuil
tracté par l'engin sur lequel sont assis deux
serre-file munis de deux lampes-torches dont les verres
avaient été peints en rouge. NAVAS, en chef de
convoi responsable, précédait cet
étrange équipage afin de prévenir dans
le cas de la présence indésirable de la
Gendarmerie. Le souci majeur était d'arriver à
destination avant le lever du jour. Et, on l'a
fait!...Heureusement qu'à l'époque les routes
du Diois n'étaient pas ce qu'elles sont de nos
jours.
Le 17 juillet, tout était en place pour que
le rêve de Jean NAVAS se réalise à la
satisfaction de tous et surtout de Monsieur de CHIVRE.
En fait, aucune date n'avait été
fixée quand à la durée de ce qu'on
appelle maintenant in stage. Il a duré trois
semaines, je n'ai pas assisté aux derniers jours, car
j'avais à préparer mon départ pour
l'Armée.
A tour de rôle, chacun venait à
Aubenasson pour « faire tourner l'affaire » sous
l'oeil de NAVAS qui se partageait entre Valence et le stage.
Il devait assurer les vols moteurs en double. Heureusement
qu'il avait, entre temps, été rendu à
la vie civile.
Sur le terrain de Valence, les vols de pente se
pratiquaient principalement par vent de nord. Pour se faire,
il fallait être remorqué jusqu'au Col de
Tourniol, au-dessus de Peyrus. Le temps de remorquage pour
arriver là était assez long. A Aubenasson, ce
temps était beaucoup plus court puisque le terrain
était pratiquement au pied du relief. Les trois
planeurs étaient souvent en l'air
simultanément, et il était très facile
de réaliser des vols de trois heures et plus. Ce
changement de terrain permettait de découvrir des
sites et un relief différents. Malheureusement, les
performances de nos planeurs ne permettaient pas de tenter
des vols de distance: quoique que certains aient
été tentés !...
Je ne voudrais pas terminer ce « conte de
fée » sans aborder une chose importante:
l'intendance. Il fallait bien que tout ce petit monde se
restaure et dorme. Il y avait en permanence pendant ces
trois semaines, sept à huit stagiaires,
présents à tour de rôle. Une caisse
recevait l'argent de chacun pour subvenir aux besoins. Mais
comment ont-ils faits ?
Grâce à la SNCF, mais pourquoi la SNCF
? Parce que le terrain était en bordure de la ligne
Valence/Gap, et qu'il y avait un passage à niveau
tout très avec sa garde-barrière qui nous
assurait, moyennant finance, de copieux petits
déjeuners.
Il fallait dormir. En contrebas du terrain,
Monsieur de CHIVRE a une vieille maison qui lui servait
à stocker foin et paille, avec eau courante
grâce à la Drôme qui coule à
quelques mètres. Donc, aucun souci pour les ablutions
matinales.
Et pour manger à midi ? Alors là,
chapeau l'artiste ! Encore un coup de maître de Jean
NAVAS. Nous étions donc les envahisseurs de Monsieur
de CHIVRE qui était propriétaire d'une immense
ferme-château. De son côté, il
hébergeait déjà une colonie de vacances
de jeunes filles de Portes les Valence. Tout naturellement,
celles-ci ont été attirées par la
présence des planeurs et des avions, donc, nous
étions voisins/voisines. Au bout de deux jours, tout
ce qui avait été prévu comme
subsistance a fondu comme un glaçon dans un Pastis
!... Et c'est là, que NAVAS entre en scène. Un
matin, rasé de frais, il se présente à
la responsable du camp de jeunes filles et lui met un
marché en main : « Nous vous fournissons notre
nourriture et vous nous prépare des repas
simples...et moi, en contre-partie, je vous fais un
baptême de l'air à chacune d'entre-vous ».
Ca c'est du troc !... Et, le marché du siècle
est conclu !...
Il y a eu d'autres anecdotes, tout au long de ces
trois semaines: notamment, un dimanche où avec la
venue depuis Valence des deux Jodel et du NC 853 du club, il
y eu des baptêmes de l'air pour les habitants de
Saillans et des villages environnants.
C'était bien-sûr, une époque
où la réglementation était
respectée à la « bonne franquette ».
A ma connaissance, après notre premier atterrissage,
il n'y a jamais eu d'autorisation demandée à
l'échelon départemental.
Voilà, la véritable histoire de la
création du terrain de vol à voile
d'Aubenasson. et qui a donné naissance à
l'Association aéronautique de Rochecourbe.
d'après un article de
Jean-Claude SERRET, devenu contrôleur aérien
militaire.
N.B. Selon Marion de Chivré, certains faits racontés dans cet article sont vrais mais pas tous.
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