Comment j'ai passé mon Brevet d'Aviateur militaire en Février 1918

Après dix huit mois de front aux 140 et 173ème Régiments d'Infanterie, après deux blessures, dix huit mois d'hôpitaux et de dépôts, je me retrouvais en juillet 1917 au dépôt du 173ème Régiment d'Infanterie à Corte en Corse.

Déclaré inapte à l'infanterie, j'essayais alors de réaliser un rêve de mon adolescence et faisais une demande pour passer dans l'aviation en qualité d'élève-pilote. J'avais quelques notions de mécanique et déjà mon permis de conduire « tous véhicules à pétrole », j'avais donc bon espoir.

En effet, deux mois à peine après le départ de ma demande, une dépêche du Ministère m'expédiait à Longvic, près de Dijon où siégeait le Premier Groupe d'Aviation. J'y restais quelques jours, le temps de subir un examen technique et de multiples examens médicaux. Reconnu « Bon pour l'Aviation », je fus dirigé, à ma grande joie, sur l'Ecole militaire d'Aviation à Ambérieu en Bugey, où je devais faire mon apprentissage de pilote. Je dis, à ma grande joie, car Ambérieu est bien près de Lyon, ma ville natale où résidait ma famille.

L'Ecole d'Aviation d'Ambérieu était sous les ordres du Commandant BERNARD-THIERRY qui lança GUYNEMER dans la carrière. J'y trouvais quelques « vieux » de l'aviation qui avaient diverses formations d'encadrement. L'Ecole était uniquement équipée d'avions Voisin, gros biplans propulsés par un moteur Salmson, système Canton-Uné, neuf cylindres en étoile de 140 chevaux. Le moteur se trouvait en arrière de la carlingue. Le Voisin était un appareil robuste, mais de grande envergure, ce qui le rendait pénible à piloter par mauvais temps. Par contre, lorsqu'il faisait beau, son pilotage était un vrai plaisir, sa carlingue en avant de l'appareil permettait une visibilité parfaite, mais elle n'abritait pas des intempéries.

L'équipement des avions était réduit à un altimètre, seul instrument de bord, auquel on ajoutait, sur les appareils servant aux épreuves du brevet, un compas, un porte-cartes et pour l'épreuve de hauteur, un barographe. Comme le cavalier, nous devions sortir notre monture, ce qui a fait dire que nous pilotions avec nos fesses, en l'absence de tout cadran.

Mes réactions à mes premiers vols furent parfaites, tant au point de vue moral que physique. Mon apprentissage se déroula sans incident, mais il fut long, car la mauvaise saison et le vilain climat des Dombes, nous empêchaient souvent de voler.

 Lâché, je fis sans histoire mon premier vol seul et les trente suivants qui me donnaient accès à la section des brevets. A cette époque, pour obtenir le Brevet d'aviateur militaire, il fallait accomplir les épreuves suivantes:

 · deux lignes droites de soixante kilomètres

· deux grand triangles de trois cent kilomètres avec atterrissage à chaque angle

· passer une heure au-dessus de deux mille mètres

· un examen technique

· avoir effectué cent atterrissages

Pour obtenir le brevet civil, il y avait, outre celles du brevet militaire, une épreuve consistant à une montée à cinq cent mètres, puis descendre en spirales avec moteur arrêté, et atterrissage dans un cercle de dix mètres de diamètre sur la piste. J'accomplis cette épreuve avec succès le 27 janvier 1918.

Le 2 février 1918, je commençais mes épreuves du brevet militaire par deux lignes droites consistant à atterrir à Meyzieu, puis retour à Ambérieu, deux fois. Il ne faisait pas très beau, mais pour ces premiers vols au-dessus de la campagne, tout se passa très bien. Encouragé, je décidais de faire un grand triangle dans l'après-midi. Pour cette épreuve, il me fallait à Bron, puis à Préty, près de Macon et enfin retour à Ambérieu. Lorsque je décollais le temps était médiocre , plafond bas et coup de vent. Beaucoup de brume en approchant de Bron que j'eu peine à trouver. Par contre, je ne vis rien de Lyon, pourtant bien proche, mais complètement noyée dans un épais brouillard.

Dès que ma feuille de route fut visée, je prie la direction du terrain de Préty que je trouvais facilement, la vallée de la Saône était bien dégagée de brume. Bien que ce soit mon ancien moniteur qui assurait le pointage, et que j'aurais eu plaisir à causer un peu avec lui, je reparti sitôt ma feuille de route visée car il commençait à faire sombre et j'aurai voulu arriver à Ambérieu avant la nuit. Ce ne fut pas le cas, mais les feux de piste étant allumés, je pu faire un atterrissage normal.

 J'étais très content de cette journée, mais bien fatigué. J'avais tenu l'air pendant près de six heures, et le pilotage avait été pénible car j'avais été bien secoué.

 Le lendemain, alors que je me reposais de ma dure journée de la veille, j'appris que j'étais félicité par le commandant et cité à l'ordre de l'Ecole pour « avoir fait deux lignes droites et un grand triangle dans la même journée ».

Le 10 février, le temps était favorable, mais je ne puis partir le matin, mon appareil n'étant pas prêt. Je ne pu partir qu'à deux heures de l'après-midi pour un grand triangle commençant cette fois par Préty. Il y avait de la brume au sol, les nuages étaient bas et il y avait de sérieux coups de vent, mais j'arrivais tout de même sans incident. Comme ce jour là était un Dimanche, il y avait beaucoup de curieux autour du terrain. Celui-ci n'était pas clos, et dès que j'eu mis pieds à terre et, malgré les interdictions, la foule entoura mon avion et, pendant que je faisais viser ma feuille de route, couvris ses ailes blanches de multiples inscriptions allant du bravo, de l'honneur et de la gloire, aux milliers de baisers des jeunes filles sentimentales.

A partir de Préty, j'eu meilleur temps, le ciel était presque dégagé, aussi j'en profitais pour survoler longuement les environs et la ville de Lyon elle-même. J'allais saluer Notre Dame de Fourvière (la bonne mère des Lyonnais) qui m'avait si bien protégé dans mes combats et me protégea aussi dans ma carrière d'aviateur, puisque je l'ai terminée sans accident, alors que beaucoup de mes camarades y perdirent la vie

Coïncidence, ce Dimanche là, mes parents étaient montés à Fourvière, certainement pour prier pour moi. De là haut, ils virent mon appareil évoluer au-dessus de la ville et se dirent : « c'est peu-être lui », c'était bien moi.

Après avoir survolé, non sans émotion, ces paysages et cette ville qui m'étaient si familiers, je me disposais à atterrir à Bron, en survolant le Parc de la Tête d'Or, où j'avais fait mes premiers pas, le lac où j'avais tant canoté était couvert d'embarcations et les allées étaient envahies par la foule.

A Bron, je fus accueilli par les hurlements de l'adjudant pointeur qui me reprocha de tourner sur Lyon depuis plus d'une heure. Je compris sa colère lorsque j'appris qu'il rentrait tous les soirs à Ambérieu et qu'il m'attendais, moi, le dernier en vol, pour rentrer chez lui. Voyage sans histoire jusqu'à Ambérieu où j'arrivais de nuit.

Il me restait à accomplir mon épreuve de hauteur, mais pour cela, j'avais besoin d'un ciel dégagé. Le 11 février, les conditions furent favorables, il faisait très beau mais très froid et, malgré trois paires de gants (soie, papier et fourrés réglementaires) la manoeuvre du manche à balai était bien pénible. Malgré cela, dès le départ, je décidais de monter le plus haut possible. J'atteignis sans trop de peine les deux mille mètres, mais au-dessus ce fut plus laborieux et, lorsque j'arrivais à deux mille six cent mètres, malgré toutes mes sollicitations, mon avion refusa absolument à grimper plus haut. Je décidais donc de naviguer à cette altitude. Il m'est arrivé alors une chose dont je ne parlerai pas si nous étions dans un salon, mais puisque nous sommes ici, entre aviateurs...voilà j'eu à ce moment une furieuse envie de pisser et, pas question de descendre. Lorsqu'on a les pieds sur terre, pisser est une opération bien facile, mais lorsqu'on est en plein ciel, sur une cage à poules par une température glaciale et, qu'on a les pieds rivés sur le palonnier, une main sur le manche à balai qu'il ne faut pas lâcher, quant on est bard é de lainages et de cuir et qu'on a trois paires de gants...c'est une autre histoire. Non sans peine, j'arrivais à bout. Je terminais par un éclat de rire en m'imaginant la tête de ceux d'en bas qui verraient tomber des gouttes d'un ciel sans nuage.

Cet intermède m'avait occupé un moment, mais il me restait encore beaucoup à faire. Je me dirigeais vers les Alpes qui, couverts de neige étincelaient au soleil. Le spectacle était magnifique, je ne pouvais en détacher mes yeux et l'admirait longuement. Pourtant, le temps s'écoulait, j'étais monté pour séjourner une heure au-dessus de deux mille mètres et je me congelais à deux mille six cent mètres depuis près de deux heurs. Le contrat était bien rempli, je pouvais descendre.

Lorsque j'arrivais à Ambérieu, les pistes étaient désertes, c'était l'heure de la soupe. En tournant autour du terrain, pour me présenter contre le vent, je vis dans un champ un appareil retourné. Sitôt à terre, je le signalais au lieutenant, chef de piste, qui, patiemment m'attendais pour me contrôler. Je sais, me dit(il, c'est l'appareil de C..., c'était son premier vol, il est mort. C'était le deuxième accident mortel depuis mon arrivée à l'Ecole. Les autres, on ne les comptait plus.

Après avoir examiné mon barographe, le Lieutenant me dit : « C'est très bien. Vous êtes breveté ».

En terminant, mes amis, permettez-moi de vous renouveler un conseil, que l'on a du vous donner déjà bien souvent « avant de prendre l'air, n'oubliez pas de remplir votre estomac...et de vider votre vessie ! »

 Joseph PANSIER, pilote bombardier de nuit

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