Déclaré inapte à
l'infanterie, j'essayais alors de réaliser un
rêve de mon adolescence et faisais une demande pour
passer dans l'aviation en qualité
d'élève-pilote. J'avais quelques notions de
mécanique et déjà mon permis de
conduire « tous véhicules à
pétrole », j'avais donc bon espoir.
En effet, deux mois à peine après
le départ de ma demande, une dépêche du
Ministère m'expédiait à Longvic,
près de Dijon où siégeait le Premier
Groupe d'Aviation. J'y restais quelques jours, le temps de
subir un examen technique et de multiples examens
médicaux. Reconnu « Bon pour l'Aviation »,
je fus dirigé, à ma grande joie, sur l'Ecole
militaire d'Aviation à Ambérieu en Bugey,
où je devais faire mon apprentissage de pilote. Je
dis, à ma grande joie, car Ambérieu est bien
près de Lyon, ma ville natale où
résidait ma famille. L'Ecole d'Aviation d'Ambérieu
était sous les ordres du Commandant BERNARD-THIERRY
qui lança GUYNEMER dans la carrière. J'y
trouvais quelques « vieux » de l'aviation qui
avaient diverses formations d'encadrement. L'Ecole
était uniquement équipée d'avions
Voisin, gros biplans propulsés par un moteur Salmson,
système Canton-Uné, neuf cylindres en
étoile de 140 chevaux. Le moteur se trouvait en
arrière de la carlingue. Le Voisin était un
appareil robuste, mais de grande envergure, ce qui le
rendait pénible à piloter par mauvais temps.
Par contre, lorsqu'il faisait beau, son pilotage
était un vrai plaisir, sa carlingue en avant de
l'appareil permettait une visibilité parfaite, mais
elle n'abritait pas des intempéries. L'équipement des avions était
réduit à un altimètre, seul instrument
de bord, auquel on ajoutait, sur les appareils servant aux
épreuves du brevet, un compas, un porte-cartes et
pour l'épreuve de hauteur, un barographe. Comme le
cavalier, nous devions sortir notre monture, ce qui a fait
dire que nous pilotions avec nos fesses, en l'absence de
tout cadran. Mes réactions à mes premiers vols
furent parfaites, tant au point de vue moral que physique.
Mon apprentissage se déroula sans incident, mais il
fut long, car la mauvaise saison et le vilain climat des
Dombes, nous empêchaient souvent de voler.
Lâché,
je fis sans histoire mon premier vol seul et les trente
suivants qui me donnaient accès à la section
des brevets. A cette époque, pour obtenir le Brevet
d'aviateur militaire, il fallait accomplir les
épreuves suivantes: · deux lignes droites de
soixante kilomètres · deux grand triangles de
trois cent kilomètres avec atterrissage à
chaque angle · passer une heure au-dessus
de deux mille mètres · un examen
technique · avoir effectué cent
atterrissages Pour obtenir le brevet civil, il y avait, outre
celles du brevet militaire, une épreuve consistant
à une montée à cinq cent mètres,
puis descendre en spirales avec moteur arrêté,
et atterrissage dans un cercle de dix mètres de
diamètre sur la piste. J'accomplis cette
épreuve avec succès le 27 janvier
1918. Le 2 février 1918, je commençais
mes épreuves du brevet militaire par deux lignes
droites consistant à atterrir à Meyzieu, puis
retour à Ambérieu, deux fois. Il ne faisait
pas très beau, mais pour ces premiers vols au-dessus
de la campagne, tout se passa très bien.
Encouragé, je décidais de faire un grand
triangle dans l'après-midi. Pour cette
épreuve, il me fallait à Bron, puis à
Préty, près de Macon et enfin retour à
Ambérieu. Lorsque je décollais le temps
était médiocre , plafond bas et coup de vent.
Beaucoup de brume en approchant de Bron que j'eu peine
à trouver. Par contre, je ne vis rien de Lyon,
pourtant bien proche, mais complètement noyée
dans un épais brouillard. Dès que ma feuille de route fut
visée, je prie la direction du terrain de
Préty que je trouvais facilement, la vallée de
la Saône était bien dégagée de
brume. Bien que ce soit mon ancien moniteur qui assurait le
pointage, et que j'aurais eu plaisir à causer un peu
avec lui, je reparti sitôt ma feuille de route
visée car il commençait à faire sombre
et j'aurai voulu arriver à Ambérieu avant la
nuit. Ce ne fut pas le cas, mais les feux de piste
étant allumés, je pu faire un atterrissage
normal. J'étais
très content de cette journée, mais bien
fatigué. J'avais tenu l'air pendant près de
six heures, et le pilotage avait été
pénible car j'avais été bien
secoué. Le
lendemain, alors que je me reposais de ma dure
journée de la veille, j'appris que j'étais
félicité par le commandant et cité
à l'ordre de l'Ecole pour « avoir fait deux
lignes droites et un grand triangle dans la même
journée ». Le 10 février, le temps était
favorable, mais je ne puis partir le matin, mon appareil
n'étant pas prêt. Je ne pu partir qu'à
deux heures de l'après-midi pour un grand triangle
commençant cette fois par Préty. Il y avait de
la brume au sol, les nuages étaient bas et il y avait
de sérieux coups de vent, mais j'arrivais tout de
même sans incident. Comme ce jour là
était un Dimanche, il y avait beaucoup de curieux
autour du terrain. Celui-ci n'était pas clos, et
dès que j'eu mis pieds à terre et,
malgré les interdictions, la foule entoura mon avion
et, pendant que je faisais viser ma feuille de route,
couvris ses ailes blanches de multiples inscriptions allant
du bravo, de l'honneur et de la gloire, aux milliers de
baisers des jeunes filles sentimentales. A partir de Préty, j'eu meilleur temps,
le ciel était presque dégagé, aussi
j'en profitais pour survoler longuement les environs et la
ville de Lyon elle-même. J'allais saluer Notre Dame de
Fourvière (la bonne mère des Lyonnais) qui
m'avait si bien protégé dans mes combats et me
protégea aussi dans ma carrière d'aviateur,
puisque je l'ai terminée sans accident, alors que
beaucoup de mes camarades y perdirent la vie Coïncidence, ce Dimanche là, mes
parents étaient montés à
Fourvière, certainement pour prier pour moi. De
là haut, ils virent mon appareil évoluer
au-dessus de la ville et se dirent : « c'est
peu-être lui », c'était bien
moi. Après avoir survolé, non sans
émotion, ces paysages et cette ville qui
m'étaient si familiers, je me disposais à
atterrir à Bron, en survolant le Parc de la
Tête d'Or, où j'avais fait mes premiers pas, le
lac où j'avais tant canoté était
couvert d'embarcations et les allées étaient
envahies par la foule. A Bron, je fus accueilli par les hurlements de
l'adjudant pointeur qui me reprocha de tourner sur Lyon
depuis plus d'une heure. Je compris sa colère lorsque
j'appris qu'il rentrait tous les soirs à
Ambérieu et qu'il m'attendais, moi, le dernier en
vol, pour rentrer chez lui. Voyage sans histoire
jusqu'à Ambérieu où j'arrivais de
nuit. Il me restait à accomplir mon
épreuve de hauteur, mais pour cela, j'avais besoin
d'un ciel dégagé. Le 11 février, les
conditions furent favorables, il faisait très beau
mais très froid et, malgré trois paires de
gants (soie, papier et fourrés réglementaires)
la manoeuvre du manche à balai était bien
pénible. Malgré cela, dès le
départ, je décidais de monter le plus haut
possible. J'atteignis sans trop de peine les deux mille
mètres, mais au-dessus ce fut plus laborieux et,
lorsque j'arrivais à deux mille six cent
mètres, malgré toutes mes sollicitations, mon
avion refusa absolument à grimper plus haut. Je
décidais donc de naviguer à cette altitude. Il
m'est arrivé alors une chose dont je ne parlerai pas
si nous étions dans un salon, mais puisque nous
sommes ici, entre aviateurs...voilà j'eu à ce
moment une furieuse envie de pisser et, pas question de
descendre. Lorsqu'on a les pieds sur terre, pisser est une
opération bien facile, mais lorsqu'on est en plein
ciel, sur une cage à poules par une
température glaciale et, qu'on a les pieds
rivés sur le palonnier, une main sur le manche
à balai qu'il ne faut pas lâcher, quant on est
bard é de lainages et de cuir et qu'on a trois paires
de gants...c'est une autre histoire. Non sans peine,
j'arrivais à bout. Je terminais par un éclat
de rire en m'imaginant la tête de ceux d'en bas qui
verraient tomber des gouttes d'un ciel sans
nuage. Cet intermède m'avait occupé un
moment, mais il me restait encore beaucoup à faire.
Je me dirigeais vers les Alpes qui, couverts de neige
étincelaient au soleil. Le spectacle était
magnifique, je ne pouvais en détacher mes yeux et
l'admirait longuement. Pourtant, le temps s'écoulait,
j'étais monté pour séjourner une heure
au-dessus de deux mille mètres et je me congelais
à deux mille six cent mètres depuis
près de deux heurs. Le contrat était bien
rempli, je pouvais descendre. Lorsque j'arrivais à Ambérieu,
les pistes étaient désertes, c'était
l'heure de la soupe. En tournant autour du terrain, pour me
présenter contre le vent, je vis dans un champ un
appareil retourné. Sitôt à terre, je le
signalais au lieutenant, chef de piste, qui, patiemment
m'attendais pour me contrôler. Je sais, me dit(il,
c'est l'appareil de C..., c'était son premier vol, il
est mort. C'était le deuxième accident mortel
depuis mon arrivée à l'Ecole. Les autres, on
ne les comptait plus. Après avoir examiné mon
barographe, le Lieutenant me dit : « C'est très
bien. Vous êtes breveté ». En terminant, mes amis, permettez-moi de vous
renouveler un conseil, que l'on a du vous donner
déjà bien souvent « avant de prendre
l'air, n'oubliez pas de remplir votre estomac...et de vider
votre vessie ! » Joseph PANSIER, pilote bombardier de nuit |