UN SACRE COUP DUR...

 

Depuis trois mois la France est en guerre. Malgré la "drôle de guerre ", les militaires et les écoles de pilotage activent leurs formations dans des conditions parfois difficiles. C'est le cas pour les élèves-pilotes de l'Ecole de pilotage d'Istres qui, dès le mois d'août 1939, ont été successivement transférés à Chateauroux, puis à Avord, dans le Cher. Fin novembre, le retour sur Istres est programmé. L'échelon roulant quitte Avord le 1er décembre; mais l'échelon volant doit attendre le 15 du mois pour enfin décoller, tant le brouillard est épais sur le centre de la France.

Les 71 avions qui équipent l'Ecole de pilotage d'Istres (chasse, reconnaissance et bombardement) sont des monomoteurs et bimoteurs de tous types, dont des bombardiers Bloch 200 et 210, des Potez 63/11 de reconnaissance et des avions de liaison du type Caudron Goéland 445 ou Caudron Simoun. L'effectif de ces écoles comporte environ 200 élèves-pilotes, sous les ordres du Général DELAITTRE. Elles sont équipées :

  • école 5: Bloch 210, Caudron Goéland et mêmes quelques antiques Le O 20 ;
  • école 7 : Bloch 200, Potez 63/11 et Caudron Goéland.  

Vers 12 heures, les appareils décollent d'Avord dans de bonnes conditions météo. Mais ils rencontrent très rapidement une masse nuageuse qui remonte du sud en s'épaississant sur la vallée du Rhône. Des chutes de neige réduisent notablement la visibilité. La station de l'Office national météorologique de Lyon-Bron relève ce jour là que la neige s'est mise à tomber sans discontinuité depuis 11 h 30, réduisant la visibilité horizontale à 400 mètres.

Sur l'aérodrome de Bron, le sous-lieutenant Joseph PICOT, pilote au Groupe de chasse 562 garde le souvenir de cette journée : " il neigeait et les appareils de l'Ecole d'Istres se posaient en catastrophe dans tous les coins du terrain ".

Robert MEUNIER, à l'époque jeune sergent, pilote un Bloch 200 de l'école 7, sous les ordres de l'adjudant-chef MOURET. Devant l'aggravation des conditions météorologiques, le vol en groupe n'est plus possible et les appareils se dispersent. Il en résulte :

  • le Bloch 200, piloté par le sergent MEUNIER avec à bord l'adjudant LEBORDER, moniteur et le mécanicien POULET, se pose long sur le terrain de Saint Etienne Bouthéon ; il en est de même pour un autre Bloch 200 ;

  • le Bloch 200, piloté par l'adjudant-chef MOURET et ayant à son bord HELMA, d'origine tchèque, se pose dans le Puy de Dôme, en panne d'essence ;

  • un autre Bloch 200 retourne à Avord ;

  • le Bloch 200, n° 9 appartenant à la 4ème escadrille du 2ème groupe de la 51 ème Escadre de bombardement tourna longtemps au-dessus de la région avant de s'écrase au sol dans les bois du Greson à la Répara sur la commune de Divajeu (Drôme), à proximité de Crest. Des débris de l'appareil qui s'est coupé en deux et a brulé (des témoins virent même un membre d'équipage agiter un bras hors de la carlingue déchiquetée avant d'être happé par les flammes), on retire trois corps carbonisés : les sergents Marcel DESCOUDRAS, Armand LAUTRETTE et Jean SAULNIER. Une chapelle ardente fut dressée à Crest, où une grande partie de la population de la localité vint se recueillir. On ignore si d'autres membres d'équipage ont sauté en parachute (Enquête de Paul MATHEVET).

  • le Caudron 445 Goéland piloté par LERAT se pose à Saint Etienne Bouthéon.

  Par ailleurs, on dénombre les accidents suivants :

  • le Caudron 445 Goéland, avec le moniteur LARDEAU et de l'aviateur tchèque NOVAK, s'est écrasé près du Mont Lozère. Leurs corps seront retrouvés deux mois plus tard ;

  • un Potez 631 s'est posé près d'Arles avant de rejoindre Istres ;

  • un Caudron 445 Goéland s'est posé dans la cour d'une ferme dans le Puy de Dôme.

  Dans la région Rhône-Alpes, on localise les accidents suivants :

  • le Bloch 200, n° 133, s'est écrasé au lieu dit 'Les Grands Taillis', à 1 kilomètre au sud-ouest de la localité du Breuil (Rhône). Les trois membres d'équipage, qui ont sauté en parachute, se sont posés sains et saufs, près du village de Sarcey (Enquête de John Paul BASSET de Chessy en collaboration avec Jean-Marc CHARMET du Breuil sur la recommandation de Monsieur THIVIN) ;

  • le Caudron Goéland 445 n°59 tourne longtemps au-dessus de la région avant de faire un atterrissage forcé dans un terrain plat et marécageux en bordure du hameau des Grises, à proximité de Saint Sorlin en Valloire (Drôme). Il a fallu mettre des madriers au sol afin d'éviter aux sauveteurs, qui portaient secours à l'équipage, de ne point s'embourber. Les trois sous-officiers occupants de l'avion sont indemnes et recueillis dans les fermes du voisinage. Ils eurent droits à la meilleure chambre et aux premières places d'hôtes. L'hospitalité n'est pas un vain mot en Valloire, un cochon passa de vie à trépas pour les ailes françaises. Un mois durant, le mess de la petite ferme du hameau des Grises fonctionna généreusement, car le Commandement avait oublié ses aviateurs dans la nature (Enquête de Paul MATHEVET) ;

  • le Caudron Goéland 445 n° 43 est détruit lors de son atterrissage à Sablons (Isère), au sud de Vienne, les trois occupants sont grièvement blessés ;

  • le Caudron Goéland 445 n° 39 est détruit lors de son atterrissage à Paulassier, dans la banlieue de Valence (Drôme), les trois occupants sont indemnes ;

  • le Caudron Simoun n° 345 fait un atterrissage forcé à proximité du hameau de Mallevielle, à l'Espèron (Ardèche), non loin de Langogne (Lozère), les deux occupants sont indemnes.

 

  Caudron n° 345 à l'Esperon (Collection privée - Droits réservés)

Un groupe de trois Bloch 210, appartenant à la 4ème escadrille du 2ème groupe de la 51ème Escadre de bombardement décolle, vers 11 heures, du terrain de Briare (Loiret) pour rejoindre le Luc en Provence. Les appareils volent à une altitude d'environ 1100 mètres. Les conditions météorologiques sont assez bonnes de Briare à Paray le Monial, mais elles se dégradent en arrivant sur Lyon. La ville de Vienne est le dernier point identifiable au sol. Au-delà de cette localité, la neige tombe à gros flocons sur la Vallée du Rhône. L'appareil est pris dans la tempête et n'a plus de contact visuel avec les autres appareils. La radio de bord est en panne depuis le décollage.

L'équipage de l'appareil se compose : Lieutenant BONNARDEL, commandant de bord ; Sergent DUGOURD, pilote ; Adjudant-chef BOUVET, observateur ; Sergent BONZON, radio ; Sergent PORCHER, mécanicien ; Caporal-chef LUCAS, mitrailleur.

Le commandant de bord envisage de faire demi-tour, le pilote tourne en rond afin de repérer un terrain d'atterrissage. Bien qu'il ne semble pas qu'il y ait de givrage, le pilotage devient de plus en plus difficile à cause de l'accumulation de la neige sur les ailes. Lorsque le commandant donne l'ordre d'évacuation, l'appareil est à 650 mètres d'altitude. L'équipage saute en parachute :

  • les parachutes de l'adjudant-chef BOUVET et du caporal-chef LUCAS s'ouvrent trop tôt et s'accrochent au fuselage de l'avion, puis se mettent en torche ; les corps des deux aviateurs sont retrouvés écrasés au sol ;
  • les sergents DUGOURD, BONZON et PORCHER se posent au sol et sont indemnes.

Vers 13 h 30, l'appareil abandonné en vol percute le sol à 700 mètres à l'est de la localité de Saint Martin d'Août (Drôme), au lieu dit ' Les Fromentos', à proximité de la ferme de Monsieur Florus. L'avion explose en touchant le sol mais ne prend pas feu, les débris sont éparpillés sur une centaine de mètres. Le commandant de bord, le lieutenant de réserve BONNARDEL, est extrait de la queue de l'avion par Monsieur Florus. Il est grièvement blessé aux jambes et à la colonne vertébrale.

Une petite stèle, à l'endroit où a été retrouvé le corps du caporal-chef LUCAS, honore sa mémoire.
(Enquête de Jean-Claude et Paul MATHEVET)

  On résume les pertes de cette journée à :

  • 51 appareils se sont posés ou écrasés sur des terrains de fortune, dans la campagne, voire abandonnés en vol ;
  • 11 sont parvenus à destination ;
  • 9 sont retournés à Avord ;
  • un appareil se serait posé en Suisse ;
  • on compte, au minimum, une dizaine de morts et de blessés.

 

François de GEOFFRE, ancien pilote de l'Escadrille Normandie-NIEMEN, breveté à l'Ecole d'Istres, suivit le stage d'Avord. Dans son livre "Du collège à l'escadrille ", il relate cet accident.

Cette triste hécatombe qui touche l'Ecole d'Istres, l'autorité militaire et la censure se sont efforcées de la masquer. Pourtant, à Radio-Stuttgart, où sévit le "traître Ferdonnet ", on entendit avec surprise et tristesse ce communiqué de propagande "Nous sommes navrés pour l'école d'Istres qui vient d'effectuer un déplacement d'Avord à Istres, particulièrement peu réussi. On vous souhaite un meilleur temps et meilleure chance la prochaine fois. Et moins de casse ".

Sources : Dossier AIR 14 au Service Historique de l'Armée -Département Armée de l'Air à Vincennes (Ces documents 2B 142 consultables en 1994, ne l'étaient plus en 1996). Ouvrage d'André GIROUX " La promotion des armoires " Documentation et adaptation de Paul MATHEVET

Un sacré coup dur...par Paul MATHEVET (C) pour MEMOIRE AERONAUTIQUE 02/2010

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