LE  TERRAIN  D'ATTERRISSAGE  CLANDESTIN « MARGUERITE »

 FEILLENS (01)



Le samedi 26 juin 2010, à Feillens (Ain), inauguration d'une stèle commémorant les atterrissages clandestins sur le terrain «MARGUERITE » dans la vallée de la Saône, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cette stèle se situe sur le côté gauche de la route à 2,5 km de Feillens en direction de Vésines. Cette stèle a été inaugurée par Monsieur Hervé MORIN, Ministre de la Défense, en présence du Captain Philip STONOR de l'Ambassade d'Angleterre, de Monsieur Guy BILLOUDET, Maire de Feillens et son Conseil Municipal, et des personnalités politiques et militaires départementales. Présence de deux compagnies de la Base aérienne 278 d'Ambérieu en Bugey avec son drapeau, ainsi que la musique de la Région aérienne de Bordeaux qui interpréta les diverses sonneries réglementaires ainsi que la Marseillaise.

A l'issue de la manifestation, les invités sont conviés à un Vin d'Honneur à la salle polyvalente où sont prononcés les discours d'usage.

NDLR : Les quelques invités britanniques présents ont été surpris de ne point entendre leur hymne national.

Historique du terrain «MARGUERITE»  

Extraits de l'ouvrage «Qui a trahi Jean Moulin ? » de Gérard CHAUVY

En 1942, les soirées familiales sont aussi consacrées, avec FASSIN, à choisir des noms pour les terrains de parachutage et d'atterrissages clandestins. «L'un des plus célèbres utilisé, près de Macon, fut baptisé chez moi, se souvient Maurice DUPRE. Ma mère, qui s'appellait Marguerite, prêta son nom pour le nom de code destiné à le désigner auprès de Londres ». Le terrain «MARGUERITE » était né.  

Extraits de l'ouvrage « Nous atterrissions de nuit... » d'Hugh VERITY

Nuit du 25 au 26 septembre 1942. Opération CATFISH organisée par FASSIN (SIF). Mission par Lysander piloté par Lt. P.E. VAUGHAN-FOWLER. Cette opération a échoué en raison du mauvais temps.

Nuit du 13 au 14 avril 1943. Opération HALIBUT organisée par Bruno LARAT et Paul RIVIERE. Mission par deux Lysander. Avec pour équipage Cdt VERITY et Lt RYMILLS. Passager au retour sur la France : Luc A. Passagers au départ vers l'Angleterre : Henri QUEILLE, Etienne d'ASTIER, J.P. LEVY et Daniel MAYER.

Nuit du 15 au 16 juin 1943, par une nuit très sombre et pluie sur le terrain, atterrissage au 3è essai Opération KNUCKLEDUSTER organisée par les agents Bruno LARAT et JANNICK (Madame Paul RIVIERE).  Mission sur Hudson avec pour équipage Cdt VERITY, Cap LIVRY et Sgt SHINE. Passagers au retour sur France : BOUCHINET-SERREULLES et PERI. Passagers au départ vers l'Angleterre : Paul RIVIERE, FASSIN, FRENAY, Claude MARCUS, Cap. de Vaisseau ROBERT, Gal.ARNAULT, Maurice de CHEVEIGNE, Jean AYRAL.

Le retour vers l'Angleterre se fait le 18 juin, via Gibraltar.

« Ainsi, le commandant de la base, Mouse FIELDEN, avait par une   courte nuit d'été lancé la mode du retour des Hudson par l'Algérie et Gibraltar, après atterrissage dans le sud-est de la France. Je devais l'imiter dans la nuit du 15 au 16 juin 1943 pour l'Opération KNUCKLEDUSTER. Nous avions Philippe LIVRY, Eddie SHINE et moi, quitté Tangmere à 23h 59 avec le Hudson PN 7221 emmenant deux passagers et quatorze colis à remettre aux hommes de Paul RIVIERE sur son grand pré «Marguerite » à proximité de Feillens, à quelques kilomètres  de Mâcon en remontant et traversant la Saône.

L'un de nos passagers, Claude BOUCHINET-SERREULLES, qui avait été chef de cabinet du général de Gaulle pendant deux ans et demi, partait pour aider Jean MOULIN, qui allait être arrêté cinq jours plus tard.

A notre arrivée au sol, Paul RIVIERE, qui devait être cette fois  l'un de nos passagers, monta dans le cockpit, où j'étais  encore attaché, et me serra la main. Bruno LARAT responsable sur le terrain, était assisté de JANNICK qui allait devenir Madame Paul RIVIERE. Ils souhaitèrent la bienvenue à nos passagers : BOUCHINET-SERREULLES et PERI. Paul se souvient de certains de ses compagnons de vol : R-G FASSIN de 'Combat' et du SAP 'Service d'atterrissages et de parachutages' ; Henry FRENAY chef de 'Combat'; MARCUS, l'amiral ROBERT et le général ARNOULT. Il y avait encore Jean AYRAL 'PAL'. Le huitième était Maurice de CHEVEIGNIE, le jeune radio miraculeusement échappé aux radio-goniomètres de la Gestapo en 1942.

On me fit signe de partir, je décollai et pris de l'altitude. Puis je me tournai vers Philippe : 'Nous devons aller à Alger; il est beaucoup trop tard maintenant pour aller au nord. L'aube sera là bien avant que nous parvenions à la Manche. Les avions de chasse de jour nous auraient.-- OK, dit Philippe, mais je n'ai pas de cartes pour la Méditerranée. Je n'ai que les fréquences pour les radios alliées  près d'Alger'. Il vérifia le contenu de son porte-cartes entoilé de navigateur. Il avait raison. Aucun de nous n'avait pensé à s'assurer de la présence à bord des cartes nécessaires. Mais j'avais piloté un Beaufighter de Gibraltar à M alte, aller et retour, deux ans auparavant et je ne pensais pas avoir besoin de cartes pour trouver Alger.





Nous fîmes l'impossible pour nous rappeler la forme générale  de la Méditerranée occidentale et la position d'Alger par rapport à la Côte d'Azur. Nous décidâmes de mettre cap sud-sud-ouest. Au-dessus de la Provence s'étaient  dégagées. Avant l'aube, nous pouvions apercevoir les îles Baléares sur notre droite. En approchant de la côte de la côte de l'Afrique du Nord, nous appelâmes sur les diverses fréquences alliées en radio et Eddie SHINE fit de même en morse, mais aucun de nous n'obtint de réponse. Le problème était aussi la direction à prendre quand nous pourrions voir la côte algérienne. Nous décidâmes  d'aborder la côte à l'est d'Alger puis de  nous diriger vers l'ouest. Nos conjonctures géographiques s'étant avérées judicieuses, nous atterrissions à Maison-Blanche, près d'Alger, à 6h 30 du matin, le 16 juin.

Nous avions volé toute la nuit et étions tous fatigués mais je jugeai qu'il valait mieux continuer jusqu'à Gibraltar dès que le plein d'essence serait fait, le petit déjeuner pris, Tangmere avisé et quelques cartes chipées. Il serait impossible autrement de garder mes huit passagers ensemble et de les remettre comme convenu, à leurs autorités respectives en Angleterre. 

Un des huit, un Français grisonnant à l'aspect militaire, me remercia courtoisement pour le voyage et m' »annonça qu'il se rendait à Alger. Tout aussi courtoisement, je lui expliquai que mes ordres étaient de remettre nos passagers en Angleterre à l'organisme convenable. D'içi là personne ne devait quitter le groupe. Il dit alors que le général de Gaulle était un de ses amis personnels et qu'il désirait lui signaler sa présence à Alger dès que possible pour se mettre à ses ordres. Ne parvenant pas à me convaincre, il me raconta que sa vieille mère était en mauvaise santé et vivait à Alger. S'il ne la voyait pas alors, il se pourrait  qu'il ne la revît jamais. Puis, en désespoir de cause, il demanda s'il n'y avait aucune autorité à qui il pût s'adresser. Je suppose que je n'avais pas spécialement l'air d'une autorité, avec ma chemise bleue de civil. Bien que commandant de bord, je demandai à Philippe de m'appuyer. Il avait vingt de plus que moi. Le tonnerre de sa voix mit fin à la controverse et nous pûmes aller prendre un café.

A la clarté inhabituelle du soleil méditerranéen, nous décollâmes de Maison Blanche à 9h 10 du matin. Nous réussîmes tous à rester éveillés jusqu'à l'atterrissage à Gibraltar à midi. Le Rock Hotel nous trouva des chambres dès qu'il fut invité par le service local des renseignements militaires – sans doute était-il habitué à faire face à toutes sortes d'arrivées inattendues par moyens de transport variés.

Nous sommes restés pour la  nuit et avons décollé à 22h 10 le 17 juin pour une nuit de vol vers l'Angleterre. Nous avions eu assez de temps pour bien nous reposer et visiter les boutiques. Il y avait une étonnante profusion de fruits, vin, bas de soie et autres articles inconnus ou rationnés en Grande Bretagne. Nous avons chargé un camion de l'armée de caisses de bouteilles de sherry et de sacs de fruits, citrons et bananes, que ma famille n'avait pas vu depuis des années. Mon petit beau-frère de cinq ans devait être complètement déconcerté par l'une de ces bananes. Il n'avait aucune idée de la façon de l'entamer. La piste d'envol de Gibraltar était très longue et je pensai pouvoir m'envoler malgré le poids supplémentaire. Je peux avouer maintenant que nous avons coupé quelques virages lors de ce retour, ayant survolé à plusieurs reprises Espagne et Portugal sans permission. Il était très saisissant de voir les villes éclairées après des années de vol au-dessus des villes et villages enténébrés de France et d'Angleterre.

A l'arrivée sur la côte sud de l'Angleterre, Philippe eut quelques problèmes pour la navigation. Je me souviens plus de ce qui fonctionnait pas, peut-être le Gee ou la radio. Mais je me souviens qu'il y avait une nappe de nuages bas au-dessus de la côte et que nous ne savions pas exactement où nous nous trouvions. Puis nous avons vu une foule de ballons de barrage attachés flottant au-dessus des nuages comme s'ils y broutaient. Nous avons pensé  que leurs câbles devaient protéger  Portsmouth d'une attaque aérienne à basse altitude. Nous étions  dans le vrai et devions bientôt retrouver notre route pour Tangmere et breakfast. Nous avons atterri à 5h 55 du matin le 18 juin, au terme d'un voyage inoubliable. »


Aspect du terrain « MARGUERITE » en 2010

Nuit du 22 au 23 août 1943. Opération TROJANHORSE organisée par Paul RIVIERE (Galvani). Mission sur Hudson avec pour équipage : Cdt VERITY, Cdt LIVRY et Lt SHINE. Vu des lumières à travers la brume. Mais impossible d'atterrir. 

Nuit du 23 au 24 août 1943.  même opération. Mission sur Hudson avec pour équipage :               Lt. Col. HODGES, Cap. BROADLEY, Cap. REED.  Passager au retour sur la France : Louis FRANZINI. Passagers au départ vers l'Angleterre : Maurice GRAFF, François MAURIN, Prof' VERMEIL, Armand KHODJA, Sergent PATTERSON de la Royal Air Force.

NDLR – Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1943, l'Halifax II, serial DK-119, codé MA-U, du 161 squadron de la Royal Air Force , participe à la Mission MISTRAL 3  dans les opérations de parachutage à la Résistance. Trop bas lors du parachutage, l'appareil s'écrase au sol dans la région de Saint  Sauvier (Allier). Six membres d'équipage sont indemnes et s'évadent, deux autres blessés sont faits prisonniers. Le sergent David Gordon PATTERSON, bombardier, est récupéré par les Résistants, puis évacué sur l'Angleterre lors de cette mission.

« Ma propre  tentative de ramassage sur Hudson en août, dans la nuit du 22 au 23, fut un échec. Les lumières de Paul Rivière sur son terrain « Marguerite », apparaissaient à travers  un brouillard si épais que je jugeai impossible d'atterrir. Paul avait en poche une lettre très amicale qui m'était adressée  et se terminait ainsi ; « Revenez me voir souvent, je ne demande que cela. Bien amicalement à vous; Yves Rolland »

Le lendemain, Paul «Galvani » envoyait le télégramme  suivant au BCRA du Général de Gaulle à Londres : «  Galvani – Mes huit passagers de l'opération du 23 sont restés sur Marguerite la nuit dernière jusqu'à 4 heures. L'avion est arrivé à 1h 30 a survolé le champ au moins six fois et n'a pu atterrir  en raison d'un brouillard épais. Stop. N'a pas répondu aux appels téléphone S. Si avions été équipés aurions pu trouver solution. Stop. N'a pas répondu en morse à mon appel. Stop. Arrivé une demi heure plis tôt aurait pu se poser sans difficulté pas de brouillard. Terminé. »

Bob HODGES  effectua cette  opération Trojan Horse la nuit suivante  du 23 au 24 août. Il avait comme navigateur le capîtaine J.A. BROADLEY et comme radio-mitrailleur le capitaine L.G. A.REED. Ils avaient à l'aller un passger pour la France, Louis FRANZINI, et en ramenèrent huit dont le sergent PATTERSON qui avait survécu à l'accident d'un Halifax de Tempsford le 23 juillet. Ils m'apportèrent aussi la lettre de Paul. Selon leur rapport l'aire d'atterrissage était plutôt molle et ne pouvait être recommandée par temps humide.

Tôt le matin du 24 août, vers 3 heures, les Allemands fouillèrent chaque recoin du village de Feillens, aux abords de Marguerite. Ils allèrent jusqu'à vider une mare pensant qu'armes ou matériel de sabotage pouvaient y être cachés. Ils ne trouvèrent  rien. En fait, personne dans le coin ne savait ce qui s'était passé. L'équipe au sol avait été recrutée sur  l'autre rive de la Saône. Seul problème, ainsi que l'a écrit Paul RIVIERE : le champ était 'brûlé' ».

Le terrain d'atterrissage 'MARGUERITE' 

Adaptation et présentation du texte © Paul MATHEVET  pour Mémoire Aéronautique 06/2010

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