Récit du combat historique du 5 octobre 1914 par Joseph FRANTZ

    D'un dossier communiqué aux Vieilles Tiges par Jérôme FRANTZ concernant son grand père, il est extrait la lettre suivante adressée en juin 1954 au Général X...

    Mon Général, et puisque vous me l'autorisez,
    Mon Cher Camarade.

    Volant depuis 1910 à Mourmelon sur monoplan Koechlin, j'ai passé mon brevet en 1911 sous le n° 363 et je pilotais au concours militaire de Reims sur biplan Savary, firme où j'étais entré auparavant comme second pilote (j'ai remplacé par la suite le regretté chef-pilote Maurice Level, tué à Reims à ce même concours).

    Ayant un moteur Labor-Aviation, le mécanicien Louis Quenault avait été détaché par la maison Labor pour la mise au point du moteur. Quenault, un an plus jeune que mois, est resté définitivement attaché à la maison Savary et je réussis à me le faire affecter comme mécanicien militaire.

    C'est à vous dire que nous formions vraiment "L'EQUIPAGE".

    En juillet 1914, je terminais comme caporal mes deux ans de service militaire à Mourmelon en pilotant un avion militaire Savary.

    Le capitaine André Faure, que nous admirions et que nous aimions, me demanda, le 1er août 1914, s'il me serait agréable de faire partie de l'escadrille V 24 en formation sous son commandement; j'acceptais avec enthousiasme et le lendemain, j'étais à bord de mon Voisin.

    Le Voisin de 1914, un biplan déjà métallique, était une machine robuste dont les qualités de vol sont connues.


    Le pilote, parfaitement abrité par un «saut de vent», était à l'avant du fuselage, le mécanicien était derrière le pilote, puis le moteur et l'hélice terminait la partie centrale. Les ailes se trouvaient à la hauteur du moteur, le pilote et le mécanicien étaient absolument dégagés de tout obstacle.

    Nous n'avions eu, donc, aucun armement de prévu et, quand nous avons commencé nos missions  de reconnaissance et de bombardement, nous emportions un revolver d'ordonnance  et ensuite un mousqueton. Nos premières rencontres avec l'aviation allemande n'avaient donné aucun résultat sérieux et nous avions échangé sans dommage des tirs sans précision.

    Le capitaine Faure, qui était en relation d'amitié avec Gabriel Voisin, fit alors un court voyage à Paris, et la décision d'armer nos machines fut prise entre ces deux hommes, sans autre avis. Gabriel Voisin dessina sur le champ un trépied tourelle qui s'adaptait à l'avant du fuselage, placé sur la tête du pilote. L'arme choisie était le fusil-mitrailleur Horchkiss.

    Le mécanicien, devenu mitrailleur, en montant sur son siège pouvait, tirant au-dessus du fuselage, balayer toute la partie avant de l'avion.

    Le trépied, mis en fabrication sans retard, il fallait obtenir les mitrailleuses. Gabriel Voisin se présenta aux usines Horchkiss, prit en charge douze de ces armes et leurs chargeurs, et signa une décharge. Il emprunta, pour cette signature, le nom du Général Bernard qui dirigeait les destinées de l'aviation militaire. Début septembre 1914, les supports étaient terminés et nous montions l'armement sur nos machines.

    Le 5 octobre 1914, au matin, le capitaine Faure m'envoya, accompagné de Quenault, mon mécanicien mitrailleur, en mission dans la région de Reims. Nous devions jeter six obus d'artillerie de 90 mm empennés, sur des rassemblements ennemis.

    Je me trouvais au-dessus de la Vesle, près de Reims, et j'aperçus au moment où je prenais de la hauteur, un biplan Aviatik qui regagnait ses lignes.

    A cette date du 5 octobre 1914 nous comptions, Quenault et moi, une dizaine de rencontres d'avions ennemis demeurés sans résultat apparent et nous avions discuté  ensemble sérieusement les conditions les meilleures qui nous étaient offertes pour un engagement futur.

    L'Aviatik, et d'ailleurs tous les avions allemands, étaient munis d'un fuselage terminé à l'avant par le moteur et l'hélice. Ni le pilote, ni le passager, ne pouvaient tirer à travers cet obstacle, et la présence des empennages à l'arrière de la machine empêchaient également le tir dans l'axe de l'avion. Nous en avions facilement tiré les conclusions. Il fallait attaquer par l'arrière, manœuvre devenu classique depuis le premier combat.


    Je coupai donc la retraite à l'Aviatik par un piqué, et je manoeuvrai pour me placer derrière l'ennemi. La manœuvre terminée, nous étions à ce point rapprochés que nous distinguions nettement les gestes du pilote et du passager.

    A ce moment l'homme du centre, le passager, épaula une carabine à répétition et ouvrit le feu sur notre apareil. Le tireur était visiblement gêné par l'empennage et le pilote qui lui masquait complètement notre position.

    Quenault ouvrit le feu en tirant devant lui, au-dessus de ma tête. La Hotchkiss, bien assurée par le trépied, était d'une manœuvre assez facile, mais cette arme était assujettie aux enrayages en répétition. Nous avions donc adopté le coup par coup. Quenault tira, l'une après l'autre, quarante- sept balles. A la quarante-huitième, notre arme s'enraya. Quenault donc le calme était étonnant, commença le démontage de la culasse pour réparer, lorsque l'allemand se cabra sous nos yeux, puis amorça un piqué, passa ensuite sur le dos en descente et s'effondra sur le sol, accompagné d'une fumée noire.

    Il tomba dans les marais, près de Jonchery. Quelques instants plus tard, je me posais dans un champ en bordure du point de chute. Des deux côtés Allemands et Français, qui avaient suivi notre engagement, étaient sortis de leurs abris. Le spectacle était inoubliable.

    L'avion brûlait encore quand le Général Franchey d'Espérey, qui avait vu la bataille, vint nous féliciter. «Je vous donne la Médaille Militaire», me dit-il. «Je l'ai déjà mon général». «Je vais vous faire alors Chevalier de la Légion d'Honneur et je donne la Médaille Militaire à votre mécanicien».

    Ce fut le Colonel Ganter qui me remit la Croix. Le 13 octobre, le colonel m'avait adressé une lettre qu'un homme de cœur ne peut pas lire sans émotion.


 Voici cette lettre:

Mon Cher Frantz,

    Lorsque le 5 octobre, dans la matinée, vous avez attaqué à 2000 mètres d'altitude, votre adversaire aérien, la plus grande partie de notre Armée suivait vos évolutions avec une attention passionnée, une anxiété profonde, et lorsqu'elle vit l'ennemi pressé par votre manœuvre audacieuse, habile et sûre, atteint par le feu de la mitrailleuse, tourbillonner et s'écraser au sol, ce fut un cri d'admiration pour le héros, et de joie délirante.

    C'est que l'Armée saluait de ses acclamations non seulement l'issue victorieuse d'un combat fabuleux, mais encore le présage, le signe de la victoire certaine et définitive e la France.

    A ceux qui doutaient encore des destinées de la Patrie, votre succès a inspiré la foi dans un avenir glorieux, le courage de poursuivre la lutte jusqu'à la dernière goutte de sang.

    C'est par là, par les conséquences morales incalculables que votre acte héroïque demeurera votre plus beau titre de Gloire, un droit à la reconnaissance du pays, un sujet de fierté pour vos chefs et vos compagnons d'armes.

    J'aurai vous dire tout cela en vous remettant la Croix des Braves, une émotion trop vive m'en empêcha.

    Dans cette lettre, je mets tout mon cœur.

                                                Colonel GANTER

 

    Voici mon général, et cher camarade, le récit du premier de tous les combats aériens. Vous connaissez mieux que je la connais  moi-même la suite des événements. Il est cependant une certitude que je me permets  de vous communiquer. En 1914, et même en 1915, nous avons littéralement dominé l'aviation allemande. Nous l'avons dominée, non pas parce que le courage de nos adversaires avait faibli, mais parce que leur matériel  était à peu près inexistant auprès du nôtre.

Croyez à mes sentiments les meilleurs.

                                                Joseph FRANTZ


Plaque commémorative à Jonchery sur Vesle (Marne)


Commission Mémoire aéronautique 
Groupement Antoine de Saint Exupéry 
Les Vieilles Tiges
Récit du combat historique par Joseph FRANTZ   
(
C)   Paul Mathevet   06/2014

Retour