Jacques REMLINGER


Crédit photo Kangitanka / Google

   

      Après de dangereux périples parfois rocambolesques via le Sud-Ouest, l’Espagne, le Portugal, l’Afrique du Nord, puis l’Ecosse, nombreux sont les pilotes à rejoindre le Général de Gaulle à Londres de juin à août 40. Il faut souligner que la loi du 23 juillet 1940 décrétée par le régime de Vichy prévoit la peine de mort par contumace, la dégradation de nationalité, la dégradation militaire, la confiscation des biens, ainsi que des représailles aux familles, pour tout militaire français passé à l’étranger sans ordre de mission, mais cela n’empêche pas ces aviateurs bien décidés à défendre leur pays, qu’ils soient déjà brevetés pilotes militaires ou encore simples élèves, de tenter par tous les moyens de rejoindre les Forces Aériennes de la France Libre.

      Parmi eux, de futurs héros comme René MOUCHOTTE qui rallie Oran à Gibraltar à bord d’un avion volé, Pierre POUYADE qui arrive d’Indochine via l’Afrique et l’Amérique, Jean MARIDOR tout comme Roland de la POYPE qui se mêlent aux soldats Polonais pour embarquer sur un bateau depuis Saint Jean de Luz, Jacques ANDRIEUX quitte la Bretagne caché à bord d’un langoustier, Jean TULASNE alors Lieutenant stationné à Rayak aux confins Libano-Syriens, à bord d’un Morane 406, fausse compagnie à son équipier le 5 décembre 1940 en annonçant une panne moteur, et part en vrille dans un nuage ! Il rejoint Lydda tout près de Haïfa et s’engage dans la RAF pour rejoindre la France libre. Il prendra le commandement de l’escadron 2/30 « Normandie ». Il y a aussi les Sergents Marcel ALBERT et Fernand LEFEVRE, qui le 14 octobre 1941, décollent d’Oran La Sénia à bord de leurs Dewoitine 520 pour un exercice d’entrainement mais un instant plus tard DURAND informe sa base d’un retour au terrain suite à un ennui moteur. Il est suivi par LEFEVRE et ils mettent le cap sur Gibraltar. Ils sont imités quelques minutes après par Albert DURAND qui volait avec une autre patrouille, puis depuis Gibraltar ils embarquent pour l’Angleterre à bord d’un Aviso des Forces Navales Françaises Libres. Eux aussi s’illustreront avec POUYADE et De la POYPE au sein du prestigieux « Normandie-Niemen » sous le commandement de Jean TULASNE.

S’ajoutent à ces « déserteurs » dont la liste est loin d’être exhaustive, des pilotes civils et des jeunes gens dotés d’un patriotisme exemplaire, qui n’ont jamais mis les fesses dans un avion mais qui montreront des qualités exceptionnelles comme Henri MATHEY (cité dans cette rubrique) ou Pierre CLOSTERMANN d’origine Alsacienne, jeune pilote civil, qui arrive du Brésil où il est né, bien décidé à défendre la terre de ses aïeux. Cependant Jacques REMLINGER concrétise une exception à ces invraisemblables évasions depuis l’étranger vers l’Angleterre. Ce jeune civil qui vient rejoindre les Forces Françaises Libres est interrogé par le Général de Gaulle qui félicite ces hommes qui ont pris tant de risque pour le rejoindre :

 Et vous, comment êtes-vous arrivés ici ?

En métro … répond REMLINGER, avec un fort accent british.

       En effet, le jeune homme de 18 ans est de nationalité Française, né dans les Hauts de Seine à Asnières mais il réside en Angleterre où son père (Alsacien) dirige une maison d’import-export. Il a fait toutes ses études à Harrow School, célèbre école privée située au Nord-Ouest de Londres. On l’envoie apprendre à piloter sur un Tiger Moth à l’école élémentaire de Sywell et c’est là qu’il rencontre un pilote venu passer un contrôle. Celui-ci est également d’origine Alsacienne favorisant ainsi une forte amitié entre ces deux « pays », amitié qui les conduira à se considérer comme frères, il s’agit de Pierre CLOSTERMANN. Le gros souci de Jacques REMLINGER malgré sa parfaite aptitude au pilotage (lâché solo en 5 heures de vol) est que, vivant à Londres depuis l’âge de 3 ans, il ne parle pratiquement pas français ! Cette lacune l’empêche de communiquer convenablement dans la langue de Molière et lui barre momentanément la route de l’accession aux FAFL mais en revanche lui ouvre la voie de la Royal Air Force … peu importe l’uniforme, ce qui importe à REMLINGER c’est bouter « le boche » hors de France, sa nation d’origine. Plus tard il obtient néanmoins le brevet de pilote des FAFL et devient un des rares pilotes français, à arborer de concert les Ailes Britanniques et le Macaron Français avec le matricule n° 203 des pilotes de la France Libre. Son apprentissage manque de mal se terminer le jour où suite à une maladresse il se crashe dans un champ à bord d’un Miles Master I, et évite de justesse de se faire enfourcher par les paysans du coin qui le prennent pour un espion de la 5ième colonne. La méprise se terminera dans un pub, et il ne sera pas « viré » car on compte également sur lui dans l’équipe de rugby de la RAF.

       Ne maitrisant toujours pas la langue française il ne peut rejoindre le groupe de chasse FAFL « Alsace » et se retrouve avec CLOSTERMANN en 1941 à l’Operational Training Unit de Rednal où ils sont qualifiés « chasseurs » de la RAF, et se retrouveront encore de septembre 1943 à juillet 1944, au groupe de chasse 602 « City of Glasgow », permutant à chaque vol les rôles de leader et ailier. La méthode dans la chasse anglaise consiste à panacher un excellent pilote et un novice afin que lors d’un combat, le « moins bon » serve de plastron, offrant ainsi à son leader le loisir de se positionner pour mitrailler à son tour l’attaquant. Enchainant les vols de protection des bombardiers entre les Cornouailles et la Bretagne, ils réalisent ensemble plus de 200 missions ! D’autres missions le conduisent à traverser la Manche sans dépasser 3 à 4 mètres de hauteur afin de passer sous les radars, pour attaquer les bases sous-marines de Brest. REMLINGER est reconnu comme un parfait tireurs air-sol dont le formidable courage frise la témérité. Méprisant la Flak Allemande, dans son « Spitfire V » il slalome à ras les arbres à 500 km/h, au milieu des gerbes d’obus de 27 m/m.

      Au retour d’une mission sur la France, après avoir échappé à la chasse Allemande il réalise qu’il lui reste une bombe. Plutôt que la lâcher inutilement dans la Manche, il fait demi-tour et revient larguer son « cadeau » sur un objectif ennemi, sans bénéficier de l’effet de surprise et au risque de manquer de carburant ou d’être abattu par la Flak qui maintenant aura réglé ses tirs. Il n’a pas gaspillé une bombe mais il est réprimandé par le commandant avant d’être complimenté. Le 17 juillet 1944, alors qu’il est en mission sur la Normandie, survolant la RN 179 (actuelle D579) au lieu-dit « La Gosselinaie », accompagné de Bruce OLIVER un équipier Néo-Zélandais, ils mitraillent de concert un convoi ennemi et plus particulièrement une grosse « Horch » noire décapotable vraisemblablement remplie d’officiers ? cette déduction leur donne raison car à bord de la voiture, le Maréchal ROMMEL est grièvement blessé, son chauffeur tué, ainsi qu’un motard de l’escorte. REMLINGER est décoré quelques jours plus tard de la prestigieuse Distinguished Flying Cross, sans vraiment savoir pour quel fait accompli, ce n’est qu’en 1990 lors de l’ouverture des archives de la RAF qu’il en apprendra la raison ! Cependant une patrouille de huit Typhoon se sont invités au mitraillage et les pilotes Jacobus LE ROUX, John BADWIN, et Charley FOX revendiqueront également ce coup de maître.

 Enfin en septembre 1944 il obtient un congé mérité de six mois qu’il met à profit pour reprendre sérieusement le rugby, sport qu’il pratique avec succès depuis l’enfance. Excellent joueur au poste de « trois quart ailier », il fait partie de l’équipe de la Royal Air Force et se retrouve le 11 novembre 1944 au Parc des Princes dans un Paris tout juste libéré pour disputer un match « international » contre l’équipe Parisienne dont le capitaine est le Général Jacques CHALBAN-DELMAS. Il manque un joueur chez les français, alors le capitaine de l’équipe Britannique très fair-play propose de prêter REMLINGER puisqu’après tout il est français ! CHABAN-DELMAS refuse … REMLINGER vexé se venge très sportivement en inscrivant deux essais portant ainsi le score final de 26 à 6 pour les Anglais. Il n’en demeure pas moins qu’il est le seul Français à avoir joué un match international dans une équipe Anglaise de Rugby !

 Après un rapide passage à l’école de tir aérien de Catfoss en vue de perfectionnement, il rejoint en février 1945 le Groupe de chasse 340 « Free French Squadron » et depuis Anvers, à l’intérieur des lignes ennemies avec son Spitfire MK IX, il participe à la couverture de la progression des alliés au sol en mitraillant et bombardant les chars Allemands. Enfin, le 8 mai 1945 l’Allemagne capitule et Jacques REMLINGER participe à des vols de victoire au-dessus des grandes villes. Le 18 juin 1945, il se permet de tracer une croix de Lorraine à la verticale de l’Arc de Triomphe, c’est l’un de ses derniers vols.

    Son palmarès est :1 victoire homologuée (Messerschmit BF109), 1 victoire probable, 4 avions ennemis endommagés, 18 camions détruits, 18 camions endommagés, 3 voitures de commandement détruites et 2 endommagées, 1 wagon endommagé, 7 motos détruites, 1 char détruit, 1 char endommagé, 5 voitures blindées détruites et 1 endommagée, 1 bateau coulé, 1 tour de contrôle détruite, et 1 position de Flak détruite.

       La guerre est terminée, Jacques REMLINGER rentre chez lui, aucun document précise s’il a pris le métro ! Il reste en Angleterre et épouse une autochtone qui lui donnera trois enfants dont un fils pilote de chasse à la RAF qui deviendra le plus jeune Général. Jacques REMLINGER rencontre des difficultés à s’intégrer à la vie civile car ayant abandonné ses études et ne sachant que piloter un avion, il ne trouve pas sa voie. Il essaie de se faire embaucher dans les compagnies aériennes Britanniques mais sans succès celles-ci préférant récupérer les anciens pilotes de bombardier qui sont qualifiés « multi engines » et déjà formés à travailler en équipage. En désespoir de cause il occupe un banal emploi dans une société d’import, avant de se lancer dans l’industrie et devenir dirigeant d’une importante affaire de prêt à porter féminin. Fait important, difficile à croire : il refuse autant que faire se peut de réaliser ses voyages d’affaire par avion car il a peur … surtout dans un Airbus dira-t-il dans les années 80. Les circonstances qui l’amènent à s’installer en France sont inconnues. Il vivra dans le petit village de Cubrial à la frontière de la Haute Saône et du Doubs, ce qui l’amènera à retrouver Henri MATHEY amis et autre héros des FAFL.

Jacques REMLINGER est décédé le 10 octobre 2002 à l’âge de 79 ans.



Jacques REMLINGER (Photo source google)

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