De la part de Jacques Béziaud, membre du Groupement Antoine de Saint Exupéry des Vieilles Tiges, section Auvergne :

«Chers Amis, je ne peux résister à vous envoyer le témoignage de cet ancien pilote de Mirage IV A et P. Pour moi, cette lecture a été un moment de rêve, bien que n'ayant pas connu Pintat. Amitiés. Jacques».

J'ai piloté le plus bel avion du monde

    J'étais pilote sur Mirage F 1 quand j'ai appris qu'il y avait la possibilité d'être muté dans un escadron de Mirage IV P. La place n'était pas très convoité par les pilotes de défense aérienne de l'époque, mais je savais qu'à la prochaine prospection, mon brevet de chef ce patrouille acquis, je répondrais favorablement pour pouvoir piloter cet avion qui m' a toujours fasciné.
    En 1990, je fus donc muté sur Mirage IV P à Mont de Marsan. C'est là que j'ai découvert un avion comme on n'en ferait plus ! Un camion au sol, avec ses 33 tonnes et ses 10 roues, mais une fois airborne dès la vitesse de 450 kts atteinte, une vivacité aux commandes et une capacité d'accélération dignes des meilleurs avions de chasse, avec en plus une autonomie en carburant multiplié par eux.
    Je me souviens de ma première accélération supersonique où je fus obligé de tirer sur le manche pour ne pas overshooter mach 2, je me rendis compte ce jour-là que j'avais entre les mains un engin exceptionnel. Ou encore ces vols à 600 kt et 250 ft mer pendant 20 minutes où la température d'impact est si élevée que l'air dans la cabine devient étouffant, la climatisation sur plein froid ne suffisant pas à rafraîchir l'habitacle.
    J'étais enfin sur cet avion aux capacités exceptionnelles mais avec une mission de dissuasion peu convoitée par les autres pilotes, nous faisions exclusivement des ravitaillements en vol et ce la basse altitude en dehors des exercices d'alerte.

 
Mirage IVA au décollage (DR)

    Ceci jusqu'en 1994 quand l'escadron a, pour la première fois, participé à des opérations aériennes au-dessus de la Bosnie. C'est là où j'ai connu mes premiers stress, j'avais déjà fait une quarantaine de missions de guerre en F 1 au-dessus du Tchad, mais cela n'avait rien à voir.
    Nous travaillions désormais avec les Américains, dans un cadre tactique plus complexe, avec des météos pas toujours favorables et des terrains de déroutement totalement inconnus. C'est au cours de ma première mission sur la Bosnie que je me rendis vraiment compte que travailler avec un navigateur était un gage de réussite et augmentait la capacité d'adaptation au changement de mission. Ce jour-là, 10 minutes avant de partir à l'avion, nous recevions un changement d'axe et d'horaire de ravitaillement ainsi que de porte d'entrée en zone. Il était impossible de tout recommencer. Le navigateur m'apaisa, me communiqua la nouvelle heure de décollage, et me dit qu'il me communiquerait les nouveaux éléments pendant le transit vers l'axe de 'ravito'. La mission fut nominale, je pouvais me décharger de la partie navigation et respect des horaires et me concentrer sur les phases délicates du pilotage.
    Sont venues ensuite les missions pour le compte des Nations Unies au-dessus de l'Irak, où nous étions les seuls à voler au nord du 33ème parallèle, et bien qu'évoluant  dans un contexte permissif, j'ai eu droit à un de mes plus grands moments d'incertitude sur la suite de mon existence. Je n'ai du mon salut qu'à cette capacité en carburant, et cette possibilité d'accélération de mon Mirage IV P, (ou alors aux intentions non réellement belliqueuses de mon adversaire). L'accélération fut telle que le parachute en nylon a fondu dans son logement et n'est pas sortie à l'atterrissage. Les conditions de température étaient si élevées pendant cette campagne qu'il m'arrivait fréquemment de faire mon dernier virage avant atterrissage en mini PC.


L'auteur partant pour son dernier vol sur Mirage IVA (collection E. Pintat)
 
    Il y eut après, les missions sur la Yougoslavie, où une fois de plus les capacités de l'avion nous permirent d'aller sans escorte au-dessus du territoire hostile, volant à mach 2 et 50.000 ft pendant plus de 40 minutes, et faisant deux pénétrations par mission. Grâce à cela nous pouvions être intégrés au dernier moment sur les prévisions de vol. Nous avons, un jour où la météo était particulièrement favorable, à deux Mirage IV P, sécher un C 135 de 40 tonnes de carburant.
    Vinrent enfin les missions au-dessus de l'Afghanistan, qui furent elles aussi riches en émotions. Chaque fois cet avion m'a ramené 'à bon port', et les quelques pannes rencontrées au cours  de ces 15 années (notamment un voyant feu à mach 2 et une rupture de commande des gaz) et 2.300 heures de vol n'ont jamais altéré la confiance que j'avais placé en lui.
    Ces sensations  de puissance mêlées de finesse et de précision de pilotage, de masse mêlée à la légèreté et à l'homogénéité des commandes en font un avion inégalable. Ces vibrations particulières ressenties à l'approche des basses vitesses ou à la montée du facteur de charge font du Mirage IV P un des derniers avions d'arme réellement 'pilotable aux fesses'.
    Quelle tristesse de voir partir ce bel oiseau aux lignes pures, il restera toujours pour moi le plus bel avion du monde !
 
Eric PINTAT
7300 heures de vol dont : 3100 heures de Mirage dont 2300 de Mirage IV P et un peu plus de 100 missions de guerre n° 2 au-dessus des pays de l'ex-Yougoslavie et de différents pays africains.
 
Jacques Béziaud vous recommande la lecture : «Forces Aériennes Stratégiques 'Missions au cœur du secret défense'» par Robert Galan, Editions Privat.

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