L'Aviation, Sport de luxe et dangereux

Ce qu'il en coûte pour voler en aéroplane en 1910

Extrait du journal « Les Inventions illustrées » 

Aujourd'hui que la conquête de l'air est un fait accompli et qu'un nouveau sport est né, auprès duquel l'automobiliste semble déjà d'un autre âge, des centaines de sportmen briguent le titre enviable des « rois de l'air ».

Malheureusement, la navigation aérienne est encore loin d'être accessible à toutes les bourses, mêmes à celles quelque peu garnies, a dit un de nos aviateurs les plus populaires, « il ne faut pas songer à voler si l'on n'a pas à sa disposition un minimum de 26000 francs, et le mieux, a-t-il ajouté, serait d'être en mesure de pouvoir dépenser le double ».

D'abord, il en coûte beaucoup plus cher pour acquérir les connaissances nécessaires pour bien diriger un aéroplane que pour apprendre à conduite une voiturette automobile. Le prix ordinaire des leçons oscille aux environs de 2600 francs. Il faut, en outre, déposer 1260francs en prévision des détériorations que pourraient subir l'appareil au cours de l'apprentissage, et on peut se considérer comme un protégé des dieux quand on entre en possession, même d'une partie de cette somme. Enfin, on paie une prime de 260 francs à une société d'assurance contre les accidents de personnes.

Ajoutons à ces divers versements, les frais de voyage, nourriture, logement, les pourboires, etc..., de telle sorte que pour obtenir le brevet de pilote, il est nécessaire d'avoir en sa possession au moins 6000 francs.n style="margin-left:73px"Le bris de l'appareil confié à des mains inexpérimentées, augmentant le plus souvent assez sensiblement cette somme, un ingénieux appareil a été imaginé récemment à la Société Antoinette pour l'entraînement des aviateurs. Il se compose de deux coquilles superposées. La coquille supérieure comporte un siège et deux volants semblables à ceux qui commandent le gauchissement des ailes et le stabilisateur d'un aéroplane. Sous les pieds de l'élève, se trouve une barre de direction permettant de faire tourner l'appareil. La coquille inférieure soutient le système et se trouve en état d'équilibre instable. Le tout est agencé de façon que l'élève ne peut tenir son équilibre qu'en manoeuvrant convenablement les divers gouvernails. Peu à peu, il acquiert ainsi l'habitude des manoeuvres nécessaires à la conduite de l'aéroplane, et cela évite de « casser du bois ».

Dûment nanti du brevet de pilote, il espensable, si vous voulez accomplir quelques prouesses, que vous fassiez l'acquisition d'un aéroplane. Le moindre monoplan coûte au bas mot 12000 francs. Ce genre d'appareils est plus difficile à manier que le biplan, mais ce dernier est d'un prix beaucoup plus élevé. Un aéroplane biplan semblable à celui qui a servi à Paulhan pour son beau vol de de Londres à Manchester et aussi au Lieutenant Cammerman pour accomplir ses fameux raids, vous reviendra à 26000 francs. Le biplan Farman est vendu 28000 francs. Par contre, le monoplan Blériot, sur lequel Leblanc et Aubrun ont bouclé le Circuit de l'Est, ne revient guère à plus de 12600 francs.

Une fois en possession d'un appareil, quel qui soit, il vous faut un champ d'expérience, autrement dit, un champ d'aviation au-dessus duquel vous continuerez l'entraînement. Ce terrain, abrité du vent le plus possible, devra avoir une superficie de quatre hectares. Vous n'avez évidemment pas besoin de l'acheter, mais encore êtes-vous obligé d'en payer la location. Sur ce champ d'aviation, vous ferez ériger un vaste hangar pour remiser l'appareil; cette construction vous reviendra à environ 2600 francs. Et, si le hangar est convenablement agencé, avec un sol bitumé et l'adjonction d'un atelier de réparations, très utile, sinon indispensable, elle atteindra facilement 7600 francs.

Puis, vient la question des petits accidents : bris de fils, cassage de bois, moteur, etc...il vous sera difficile de vous en tirer à moins de 25 à 60 francs à chaque fois, et s'il survient un accident plus grave, il faudra tout de suite compter un billet de mille francs. A lui tout seul, le tissu caoutchouté qui recouvre la fragile charpente revient à environ 1600 francs.

Quant aux dépenses pendant le vol, c'est une quantité quasi négligeable puisque, avec quatre litres et demi d'essence et deux litres d'huile de ricin, c'est à dire pour à peu près quatre francs, on eut parcourir une quinzaine de kilomètres dans les airs.

Cet exposé, rigoureusement exact, causera peut-être une certaine désillusion aux personnes que les lauriers des premiers hommes volants empêchent de dormir et qui rêvent de les imiter. 

D'ailleurs, les difficultés matérielles ne sont pas les seules auxquelles se heurtent les adeptes de l'aviation ; il en est d'autres purement physiques, qui ne sont pas non plus à dédaigner. 

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